Jens Spahn, le ministre de la Santé en Allemagne, veut instaurer des dispositifs européens permettant de gérer les données médicales. Il en fait une priorité. Les discussions sont en cours concernant la sauvegarde, l’usage et le partage sécurisés de ces informations qui attisent la convoitise des géants du Web et des cybercriminels. Dans de nombreux pays européens, le secteur de la santé a déjà entamé sa transformation numérique. Par exemple, les patients ont la possibilité de contracter une mutuelle santé en ligne. Ils peuvent aussi consulter à distance ou surveiller leurs constantes grâce aux montres connectées. Sur le Vieux Continent, ce marché totalisera 155 milliards d'euros à l’horizon 2025, comme le révèle le cabinet Roland Berger dans une étude. La part attribuée à l’Allemagne s’établira à 38 milliards d’euros. Les habitants s’y apprêtent justement à vivre une réforme en matière de santé, comme l’indique le ministre de la Santé Jens Spahn. Ce dernier souhaite que son pays parvienne au même niveau que les États nordiques. Quels sont les projets en matière de e-santé en Allemagne ? Un des projets abordés par Jens Spahn porte sur la création d’une banque de données dédiée à la recherche médicale. À partir de 2023, les Allemands pourront transmettre leurs informations personnelles aux scientifiques, de manière anonyme ou non. Une enquête réalisée par YouGov montre que 41 % des patients y consentent à condition d’obtenir un avantage financier de la part de leur compagnie d’assurance. Quant à 25 % des répondants, ils ont déclaré ne vouloir aucune contrepartie. Par ailleurs, un Data Act censé être lancé en l’an prochain doit permettre de regrouper les données issues des services publics et des entreprises. C’est ce qu’indique le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton. Concernant le cadre juridique, un projet de loi concernant la sécurité des données des patients a été révélé depuis janvier dernier. Il est censé régir les conditions d’accès à ces informations. Une réforme qui se déploie progressivement Pour faire avancer la réforme dans le domaine de la santé, les pouvoirs publics allemands y consacreront un budget de 200 millions d'euros annuels. D’ici 2021, les dossiers médicaux des patients seront digitalisés, quand les professionnels de santé seront invités à fournir des ordonnances électroniques. Il est aussi prévu que règlement de la facture s'effectue de façon numérique. Depuis le 1er janvier dernier, les applications créées par les entreprises pharmaceutiques et recommandées par les médecins sont remboursées par les caisses de maladie. Ces outils doivent être certifiés par un organisme compétent. De leur côté, les jeunes pousses, qui consacrent une part non négligeable de leurs capitaux (jusqu’à 2 %) à l’invention de nouvelles applications, s’activent pour obtenir une attestation. Elles en recevront à partir de mai prochain au plus tôt, à en croire la presse allemande. Une démarche entièrement européenne ? Les données compilées pour la recherche médicale pourraient être accessibles uniquement aux instituts de recherche rattachés à l’État. Autrement dit, l’accès risque d’être refusé aux grandes enseignes pharmaceutiques. Il en va de même pour les GAFA, s’il faut tenir compte du Règlement général sur la protection des données. Il n’empêche que les Américains dominent lorsqu’il est question de Cloud. Une pléthore d’entreprises et d’institutions a recours aux services fournis par Google et Amazon. Tel est le cas d’Ada, comme le précise son cocréateur, Daniel Nathrath. Par ailleurs, Sanofi, qui développe des applications pour les diabétiques, a pactisé avec la filiale d’Alphabet quant à la mise en place d’un laboratoire commun. En tout cas, il est clair que les géants du Web ambitionnent de révolutionner les systèmes de santé au moyen de l’intelligence artificielle et d’alimenter leurs algorithmes. La sécurisation des données demeure un défi de taille Un professionnel de l'institut Fraunhofer pour l'informatique (FIT) a analysé les dispositifs mis en place au sein d’une trentaine de cabinets médicaux. Il a constaté qu’un tiers d’entre eux seulement étaient sécurisés. Or, la cybercriminalité constitue une réelle menace pour le secteur, surtout si les dossiers numérisés devraient être partagés. C’est ce que révèle celui qui préside l'Académie européenne pour la liberté de l'information et la protection des données (EAID), Peter Schaar. Ce dernier note que des établissements hospitaliers ont déjà été la cible d’attaques informatiques. Une personne malveillante peut par exemple s’introduire dans la base de données pour fausser une prescription. L’an dernier, deux tiers des acteurs de santé sur le Vieux Continent ont été victimes de cyberattaque, en raison notamment de négligence. Un rapport de l'Enisa (Agence européenne de cybersécurité), dévoilé le 24 février dernier, le relate.