Juin 2016, foules de supporteurs en maillots colorés sillonnent la France pour assister aux matchs de football de leurs équipes nationales. Au même moment, foules de manifestants contre la loi El-Khomry sillonnent Paris pour protester contre une réforme du Code du travail. De concert, l’Hexagone accueille l’Euro 2016 et la contestation syndicale.
« Nous ne cesserons pas la grève à cause du football car dans un mois l’Euro sera terminé mais nos conditions de travail dureront des années ». Les manifestants qui arguent qu’il ne restera rien de l’évènement sportif dans quelques semaines se trompent allègrement : il en restera des stades flambants neufs. Et dans le football français stade flambant neuf rime souvent avec facture pour les finances publiques.
En 2006, à l’occasion de la Coupe du Monde en Allemagne, le football français découvre un modèle économique : les stades allemands sont modernes, multifonctionnels, accueillent plus de 50 000 personnes et concentrent 25 % des recettes des clubs (contre 12 % en France). Comme souvent, le modèle allemand est pris en exemple.
De concert, clubs, municipalités et autorités sportives se lancent dans un plan de modernisation « à l’allemande » des infrastructures. Entre 2006 et 2013, Grenoble, Valenciennes, Le Havre et Le Mans se font construire de nouvelles enceintes. Comme depuis toujours en France, le stade appartient à la municipalité qui le loue ensuite au club. Problème, à Grenoble et au Mans, l’équipe a de piteux résultats sportifs et financiers et finit par disparaître dans les affres des 5ème et 6ème divisions.
L’Euro est l’occasion d’investir 200 millions d’euros à Bordeaux et à Nice et 300 millions d’euros à Lille et à Marseille. Officiellement, l’investissement est divisé entre moitié de fonds publics et moitié de fonds privés. Seulement cet argent privé n’est qu’une avance, via les PPP (Partenariats Public-Privé), qui sera progressivement remboursée sur une trentaine d’années par les municipalités. A Marseille, la Mairie va ainsi verser 12 millions d’euros par an au constructeur (quand le club paye 4 millions d’euros pour louer le stade). Via ces infrastructures, les collectivités subventionnent largement leurs équipes de football.
Maigre revenu complémentaire, les stades adoptent le nom d’une entreprise privée, le Matmut Atlantique à Bordeaux (pour 2 millions d’euros par an) et l’Allianz Riviera à Nice (1,3 millions d’euros par an). A Marseille, les négociations sont en cours avec Orange et à Lille, l’offre des casinos Partouche a été refusée pour son trop faible montant.
A Paris, les travaux de rénovation ont coûté 75 millions d’euros, pris en charge par le mécène qatari qui abreuve le club de liquidités (in fine, une autre forme de financement public). Enfin, à Lyon, le stade n’appartient pas à la mairie mais à l’OL Group (holding qui possède le club de football). Officiellement, le financement est « 100% privé ». Seulement, la Caisse des Dépôts a prêté 32 millions d’euros et les collectivités sont garantes à hauteur de 150 millions d’euros d’emprunts. Le Grand Lyon a aussi investi entre 200 et 450 millions d’euros (selon les sources) dans la desserte en transport du nouveau stade.
En résumé, même quand la façade est privée, les fonds publics ne sont jamais loin.
Finalement, la volonté de singer le « modèle allemand » (où la moitié des stades sont privés) s’est vite fracassée sur les réflexes hexagonaux : rien ne vaut l’argent public.
Auteurs : Charles-Antoine Schwerer et Nicolas Bouzou
Économiste et directeur-fondateur du cabinet de conseil et d'analyse économique Asterès, Nicolas Bouzou est membre du Conseil d'Analyse de la Société auprès du Premier Ministre, directeur d'études à la Law & business school de Paris II Assas, vice-Président du Cercle Turgot et chroniqueur sur Canal Plus. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Le Chagrin des Classes Moyennes, Lattès, 2011.
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